Retour à la liste

Ajouté le 13 nov. 2006


Après « De l’air », Gaele Flao poursuit ses recherches autour des quatre éléments. « Terroir » développe une série de peintures autour de l’humain et de son environnement naturel ou industriel.

Un fond blanc. Un ciel d’hiver.
Quelques traits, lignes chaotiques. Les branches d’un arbre.
Nu, dépouillé, il élève son tronc sanguin et découpe la toile en deux. Un homme au premier plan, de dos, semble lui faire face ou se fondre dans sa masse.
Un feuillage humain organise son territoire dans ses branches. L’un rêveur, contemplatif, semble observer le ciel laiteux, les deux autres dans un labeur intense jettent des cordages, des liens tissant une toile entre terre et ciel, élevant le squelette d’un arbre bateau aux voiles repliées, dansant sur une mer de buissons secs.
La nature inspire, la nature aspire les espérances humaines, l’essence de la vie. Corps vivants saisis dans leurs actions, dans le mouvement immuable de leurs existences, du travail quotidien, ils construisent un arbre filet porteur d’une généalogie humaine.
Des racines à la cime, l’arbre s’anime.
Protecteur et menaçant, figure patriarcale et emblématique, l’arbre se mêle aux contes et légendes de l’enfance, à leurs frayeurs à leurs envies : Tronc devenu socle d’où l’on s’élève, racines qui nous pèsent et nous ramènent à la terre ; métaphore de l’humain, de la famille, de l’industrie.

Des bandes noires, grises, brunes.
Tantôt épaisses, tantôt liquides.
Des coulures, des transparences, des absences. La toile brute.
Les bandes se croisent, s’écrasent, se juxtaposent, s’indiffèrent.
Une mécanique diabolique, un écrou géant, un chaos industriel portent l’humanité à son sommet.
La femme dirige ce vaisseau rutilant. Elle conduit d’une main ferme, sûre, le regard direct. Son manteau l’enveloppe, son foulard la protège. Résolue, décidée, volontaire elle semble porter en elle une idée fixe, une envie, une ténacité mordante dont personne ne pourra la détourner.
L’homme à ses côtés semble lui conter quelques secrets. Indifférente, le regard fixe, elle ne se détourne pas de son but. Elle avance le regard tourner vers l’avenir.

La peinture de Gaele Flao respire, vibre. Les corps sont en mouvement, saisis, attrapés.
Découpés pour le regard, les personnages terminent leurs gestes et leurs histoires dans notre réalité. Plusieurs temps semblent se juxtaposer : Labeur, pause, concentration, contemplation.
La phase du repos, une cigarette aux bords des lèvres, les yeux plongés dans le vide côtoie celle du travail intense le marteau lourd levé à travers ciel s’apprêtant à cogner, sonner sa proie.
L’huile dense ou transparente donne vie à ces personnages et ces compositions. La couleur allume une lumière au creux de ces humains de papier et de toile. Le dessin graphique, sec, énergique les esquisse, pose leurs attitudes et leurs comportements : Mains marquées, repliées, serrées ; Corps penchés, courbés, élevés ; Visages concentrés, fermés, pensifs, mélancoliques. Une humanité et un panel d’expressions défilent et s’installent en suspension dans ces décors terrestres.

Au travers des coulures, des plis concentrés de l’huile, une histoire se déroule. Gaele Flao travaille sur le temps et l’humain, ses pinceaux enregistrant comme une caméra les attitudes, les comportements.
Arrêt sur image. Zoom. Contre-plongée. Le geste de ses pinceaux saisit en plein vol dans le silence des brosses, les odeurs d’huile et de térébenthine un instant fugace, une conversation, un regard, un soupir. L’avant et l’après sont suggérés, le contexte entrebâillé. Le spectateur ne peut que reconstituer ou continuer cette aventure de toiles, cette traversée figurative colorée qui oscille entre réalité et fiction.
La photographie présente par moment en toile de fond marouflée ou à peine suggérée dans les cadrages audacieux qui découpent les corps nous renvoie à ce présent, à cette actualité tactile et tangible qui nous environne. La peinture l’englobe, la nourrit, l’agite de soubresauts et de vies et lui permet de tisser et d’élargir le déroulement de ses actes et de ses scènes. Pas de début, pas de fin. Le temps suspendu permet la respiration et la contemplation, le goût du vivre et l’appréciation de regarder, d’observer, d’apprécier.

Lucie Cabanes
Directrice de l'Artothèque dHennebont (56)

Créé avec Artmajeur